Chant treizième – Lu dans le regard de l’indien Wishram.
À Jeffrey Lee Pierce.
1.
Tu as assassiné le facteur ! J’ai dans la bouche
Le goût d’une eau marine. Elle dépose des algues
Qui me parlent de toi, du troupeau des créatures,
Ces bisons blancs de novembre. Ils chevauchent l’écume crémeuse
Des vagues grises en Mer du Nord. Dans ma mémoire,
Dans mes nuits, aboient des chevaux guerriers que tu dresses.
Je perçois : plaintes de bêtes que l’on mutile. Minuit crétin,
J’attends pour entendre le son de ta voix enfouie,
Aux creux de mes oreilles, pareille à la jeune abeille
Heureuse qui tourbillonne au-dessus de la mêlée des habitudes.
Ton absence dessine une balafre au fond de ma gorge.
Tu renies et enterre le Myrddin ! Sur une pierre blanche
D’un puit oublié, un petit sansonnet lisse ses plumes,
Il se souvient de nos soleils-Amérike, De nos nuits perlées
D’étoiles-opéras-baroke. Près de l’étang une indienne
Baisait alors le guerrier comme on libère un peuple enchaîné.
Truies fascistes que notre terre s’arrache de vos racines.
Les arbres vous quitteront. Les mouettes hurlantes désespérées prient à
Se faire gober par-delà la lumière de la lune.
Des étoiles de tendresses percent ma peau de solitude septentrionale
De leurs petites dents lumineuses. C’est la tendre morsure
Qui me pince le creux de l’âme, Janie Jones hurle ;
Tu as enseveli le Wishram ! Le gracieux indien Chinnok – SHIT ! -
J’avale la piste. J’introduis mon doigt, en dedans.
Entre mes épaules fanées, des coquelicots funestes décochent leurs flêches
Parfumées mais empoisonnées du souffle de ta gorge. Sans larmes
Je m'agenouille, souillure, que l'on me tranche membres
Et tête, si je ne peux plus de moi coucher,
Le meilleur, sur toi... tout à l'intérieur. Puis le vertige.
2.
Mort, faites taire mes regrets. Ne faites pas de moi
Un « poète maudit ». Scotchez au sapin vos plus jolis souvenirs
Pissez,… de joie pour moi, …des guirlandes de bières belges.
Allumez, les cierges de vos regards – cette sainteté – quand unis
Nous étions innocents, joyeux, tendres. Going Back Black White Song !
Dessus l’étagère de mon bureau, une ancienne carte postale
Avec le regard profond, triste de l’indien Wishram, l’indien Chinnock
Des confins Washington-Oregon. Love Supreme, je chante avec lui
La danse du secret des loups et autres pauvres crétins.
Le regard triste du Wishram bienveillants me dévoile nos tourments.
Tes baisers rouges tournent incandescents autour de mon âme désertés.
Dans le puit vide de nos chairs, le Wishram pleure.
en vers arithmonymes de 10
Wishram : Nom d’une tribu amérindienne d’indiens dont on peut dire qu’elle a quasiment disparu.
Jeffrey Lee Pierce : Chanteur, guitariste et compositeur, Jeffrey Lee Pierce est un musicien américain né en juin 1958 et décédé, suite à une hémorragie cérébrale, en mars 1996. Il est surtout connu pour avoir été la figure de proue charismatique du groupe The Gun Club qui a développé une vision hypnotique de l’histoire musicale des Etats-Unis mêlant rythmes vaudous, sauvagerie punk, esthétique parfois country, à un style fondamentalement blues. Ni The Gun Club, ni Jeffrey Lee Pierce en solitaire n’ont atteint un succès commercial significatif pourtant le leader de The Gun Club a toujours été salué par la critique et reconnu comme l’une des personnalités « rock » des plus influente de son époque, impressionnante aussi… et peut-être encore plus aujourd’hui.
Chinnocks : Les Chinnooks étaient une tribu
amérindienne vivant dans le nord-ouest des états unis. Sa langue était le
chinnokan (maintenant une langue morte).
Shit ! : Signifie une injure dont l’équivalent en français est le célèbre mot du Général Cambronne
Going Back Black White Song ? : Signifie en anglais quelque chose comme : arrive le retour noir de la chanson blanche.
Love Supreme : A Love Supreme est un album-concept de John Coltrane enregistré en 1964. Il est considéré comme un album majeur du jazz et dans la Musique du siècle 20.
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